

[Guillaume Sommerer]
Kevin Le Nouail nous rejoint. Bonjour Kevin.
Directeur associé d'Avant-Garde Family Office, vous allez rendre votre verdict et le prononcer dans un instant en direct sur cette antenne. Ce verdict qui arrive, qui approche, l'assumez-vous ?
[Kevin Le Nouail]
Oui, totalement, absolument. J'estime et j'assume que sur la dette française en l'occurrence, jusqu'ici tout va bien et que le véritable test sera 2026.
[Guillaume Sommerer]
Alors que Sébastien Lecornu cherche toujours un budget et qu'il a annoncé tout à l'heure qu'il ne recourrait pas au 49.3, vous venez, je ne sais pas, peut-être nous rassurer. Vous nous dites sur la dette, pour l'instant tout va bien, le vrai test sera seulement l'an prochain.
[Kevin Le Nouail]
Absolument, absolument. Alors on profite un peu finalement que la poussière retombe, même si vous le dites bien, Sébastien Lecornu va peut-être la faire remonter très légèrement. Effectivement, la poussière retombant, on a eu une dégradation de la note souveraine française, on a beaucoup de débats effectivement sur le niveau des dépenses publiques.
Mais force est de constater que le marché aujourd'hui obligataire et de la dette française ne subit pas d'un coup très violent ou de crise en tant que telle. C'est important et les points finalement de suivi assez classique que l'on peut évoquer, c'est pour commencer effectivement le niveau des taux. Et lorsque l'on regarde le niveau des taux, il nous suffit de regarder le classique du 10 ans évidemment français.
Ce niveau de 10 ans français, par rapport à avant l'annonce de François Bayrou du vote de confiance, il n'a quasiment pas bougé. On était globalement à 3,45% avant l'annonce, on est aujourd'hui à 3,52% sur ce 10 ans français. Donc on n'a pas finalement ici un effet de crise très important.
Même chose si on regarde les effets de spread, vous savez c'est ce qui nous intéresse. L'écart de taux d'emprunt entre la France et ici l'Allemagne, en termes de référence, et bien là aussi à 10 ans on était à 70 bips, donc 0,7% de taux d'écart entre la France et l'Allemagne. On est aujourd'hui maigrement au-delà des 80 points, ce n'est absolument pas exagéré et ce n'est absolument pas une situation de crise.
Pour le rappeler et le remettre un peu en perspective, vous prenez décembre 2024, on est monté à près de 90 bips de spread, là non plus pas inquiétant mais c'était déjà au-dessus. Et si vous voulez savoir ce qu'est une vraie crise effectivement, et bien prenons l'Italie. L'Italie, oui, il y a quelques années s'est monté à plus de 300 points de base de spread, ça c'est une vraie crise obligataire.
Je n'évoque même pas 2011 sur laquelle le spread était à plus de 500 points de base. Donc effectivement, toute proportion gardée, la France n'est pas en crise. Et puis il y a un dernier élément, si vous me le permettez, qui est assez rassurant, plus technique, c'est ce qu'on appelle les adjudications.
C'est le moment où l'État français, l'agence France Trésor se présente devant le marché des investisseurs avec une nouvelle dette. Et ce qui nous intéresse, c'est beaucoup moins le taux dont je viens de parler mais plutôt ce qu'on appelle la sursouscription, c'est-à-dire le volume qui est demandé par rapport à l'offre qui est offerte par l'État français. Et ça c'est très rassurant aussi, quand on prend les derniers chiffres, on est en sursouscription d'à peu près 2,2 fois en septembre par rapport à septembre de 2024 ou septembre de 2023.
Pareil sur octobre, on n'a pas du tout de dégradation, ça ce sont des vrais bons points. En tout cas, ces points techniques-là, ils sont rassurants pour l'instant.
[Guillaume Sommerer]
Et par exemple, parmi nos créanciers, il y a les japonais. Un certain nombre de fonds japonais ont expliqué justement fin août, début septembre que si les taux français étaient amenés à monter, ce serait peut-être une opportunité pour en acheter parce que du coup ça rapporte un peu plus. Mais vous nous dites, alors oui, oui, pour l'instant on joue à se faire peur et c'est une tempête dans un verre d'eau, ça va à peu près bien.
Ce n'est pas une cata pour la France sur le marché de la dette, loin de là, ça se passe correctement. Mais vous nous dites, c'est en 2026 qu'on passera un vrai test. Pourquoi 2026 ?
[Kevin Le Nouail]
Oui, absolument. Je ne dis absolument pas qu'il n'y a pas de problème en soi, bien entendu, mais c'est vrai que le vrai test va commencer en 2026, à moins évidemment que la discussion sur le budget ne s'envenime rapidement. Mais vous connaissez sûrement la théorie ou l'adage qui dit que la France finalement a une situation très privilégiée sur le marché de la dette européenne parce qu'elle émet globalement la dette la moins risquée ou de meilleure qualité, juste derrière l'Allemagne.
Et le problème en disant cela, c'est qu'on pose finalement deux théories ou deux facteurs. Le premier facteur, c'est un facteur de volume de ce point de vue-là. Et ça, ce volume-là, forcément en 2026, il va potentiellement se retourner.
Rappelons que la dette allemande, globalement, les Allemands émettaient peu de dettes, avaient peu d'endettements. Or, l'année prochaine, l'Allemagne, c'est 310 milliards d'euros de dettes qui vont arriver sur le marché. C'est-à-dire qu'ils vont presque émettre autant que nous ?
Absolument. Ils vont émettre autant que nous et surtout ils vont émettre 40% de plus que ce qu'ils émettent en moyenne aujourd'hui. C'est extrêmement important.
Vous rajoutez à cela, effectivement, une dette italienne qui va, elle aussi, émettre à peu près 350 milliards de dettes. Quand vous faites le package total, France, Allemagne, Italie, de ce point de vue-là, c'est plus de 1000 milliards qui vont être émis. Sauf qu'il y a un nouvel acteur.
Le nouvel acteur, c'est l'Allemagne. Et donc, là aussi, ça veut dire que le volume va être préempté par une dette de grande qualité, ce qui n'était pas du tout le cas avant. Et puis, il y a la question de la qualité, dont j'ai parlé tout à l'heure.
Cette qualité-là, évidemment, l'Allemagne, on la connaît tous, la qualité est très reconnue. C'est le quasi sans risque européen. Mais lorsque l'on parle de l'Italie, on le voit dans les spreads.
Les spreads se sont resserrés. Aujourd'hui, la dette italienne est certes en notation inférieure à la nôtre, mais on considère que la trajectoire est plutôt du côté italien, ce qui crée un effet de qualité. Aujourd'hui, la dette italienne est prisée.
Elle le restera sûrement en 2026. Ça signifie que le volume restant pour un achat de dette française, il va globalement se réduire. Ce sera un vrai test pour le marché.
[Guillaume Sommerer]
Oui, c'est comme en tennis. Vous savez, quand vous jouez face à un mur, vous gagnez. Alors que quand vous jouez face à plusieurs, en quelque sorte, là, c'est un peu plus compliqué quand on vous renvoie la balle.
Et que ce n'est pas un mur qui vous la renvoie la balle. À partir de quel écart, à partir de quel spread ou à partir de quel signal de marché, vous vous direz ça y est, la France sur le marché de la dette est en difficulté ?
[Kevin Le Nouail]
Est-ce qu'il y a un chiffre, un seuil à suivre ? Le seuil, globalement, le premier seuil technique, ce sera les 120 à 150 points de base de spread à l'écart. Ça va donner plusieurs choses.
La première chose, ce sera soit qu'il y ait une dégradation généralisée de la dette européenne. C'est tout à fait possible. On peut avoir une perte de vitesse européenne.
Et on va le constater selon en relatif de la France. 150 points de base, ça commence à être très problématique pour la France. Ça voudra vraiment dire qu'il y a une dégradation de cran de notation très importante.
Mais surtout, le sujet qui m'intéresse, j'allais dire que le spread, c'est un thermomètre à très court terme. C'est un peu le baromètre classique. Ce qui m'intéresse, c'est plutôt les adjudications.
J'insiste beaucoup là-dessus parce que l'effet offre-demande, il est fondamental sur le marché obligataire. Si cette adjudication passe sous les 2, voire sous les 1,5 fois de sursouscription, ça deviendra très inquiétant parce que ça signifiera que soit la dette européenne n'est plus prisée, soit c'est la dette française qui est squeezée dans les portefeuilles.
[Antoine Larigaudrie]
On a un climat de marché qui est plutôt favorable aux actions cotées. On a un CAC 40 qui est un 8000.
Et on a parallèlement aussi des entreprises qui arrivent à s'endetter avec un coupon vraiment intéressant et qui ont un profil de risque finalement inférieur à celui de certains états souverains parce qu'on sait qu'ils seront meilleurs payeurs. Est-ce que vous ne pensez pas que la clientèle et les investisseurs pourraient être finalement beaucoup plus séduits par la dette d'entreprise que la dette des états à l'avenir ?
[Kevin Le Nouail]
Ils le sont déjà, si vous me permettez. Alors ça se voit moins dans les institutionnels. Quand on parle d'adjudications, n'oublions pas que ce sont des professionnels effectivement.
Mais je vous rejoins tout à fait aujourd'hui dans les portefeuilles privées et dans la gestion privée. Nos clients sont beaucoup plus adeptes aujourd'hui de dette d'entreprise parce qu'effectivement il y a beaucoup moins de craintes politiques. Et on le voit d'ailleurs dans les réactions de marché.
Lorsque l'on a eu l'annonce du vote de confiance, on a eu tendance à voir des corporate européennes midiuration, pour vous donner l'ordre d'idée, du 5-8 ans par exemple, ce qui est le gros cœur de portefeuille des investisseurs privés, on a vu ces dettes-là en réalité s'apprécier en termes de prix plutôt que se dégrader. Donc elles n'ont pas suivi le mouvement. Et c'est tout à fait vrai.
Ça m'inspire quand même quelque chose. C'est que le terreau français est d'excellente qualité et ça tant mieux. Et le terreau européen également.
[Guillaume Sommerer]
Il faudrait quand même que la BCE donne un coup de pouce ou pas parce qu'en Europe, on voit des trajectoires de plus en plus divergentes. En matière d'inflation, c'est quasiment en France qu'elle est la plus faible. Du coup, difficile pour la BCE de piloter des trajectoires d'inflation qui divergent de plus en plus.
Elle est l'inflation allemande deux fois plus importante qu'en France. En Espagne, elle est beaucoup plus importante aussi qu'ici en France. Est-ce que si on adopte un point de vue franco-français, on ne se dit pas que la BCE devrait davantage baisser ses taux qu'elle ne le fait aujourd'hui ?
Est-ce que sa politique monétaire aujourd'hui, pour nous Français, compte tenu de nos situations politiques et budgétaires, déficitaires, est-ce que sa politique monétaire n'est pas devenue trop restrictive aujourd'hui ?
[Kevin Le Nouail]
Non, je ne le crois pas. Il y a plusieurs points de ce côté-là dans ce que vous évoquez. Globalement, est-ce que la Banque Centrale Européenne est trop restrictive ?
Globalement, non. On a un niveau d'inflation effectivement qui n'est pas élevé. Mais surtout, ce n'est pas à la BCE d'accompagner une réforme structurelle qui est nécessaire en France.
Et donc, de ce point de vue-là, oui, on pourrait penser qu'effectivement la BCE est trop restrictive. Je me suis amusé globalement à faire un petit calcul pour nos clients récemment. Vous savez, si on prend la règle de Taylor, cette fameuse règle très macroéconomique qui fixe le taux théorique, figurez-vous que quand on fait la règle de Taylor, en fait, il y a un problème, c'est que le taux de chômage en France, il est en dessous du taux naturel français.
C'est 7% aujourd'hui de taux de chômage. Alors, le taux naturel, on l'estime plutôt 8,5-8,9%. C'est assez important.
Donc, si on calcule une règle de Taylor, ça nous pousse à un taux qui est quasiment au-delà des 3,50%. Donc, non, je ne crois pas que la BCE doive intervenir. Surtout, ce n'est pas la BCE de faire un cadeau au gouvernement français en, encore une fois, accompagnant une réforme qui doit être structurelle.
[Guillaume Sommerer]
Kévin Le Nouail, il est directeur associé d'Avant-Garde Family Office. Merci, Kévin, d'être passé nous voir. Merci beaucoup.
