Transcription de l'échange télévisée
Nicolas Pagniez : Et nous enchaînons avec la deuxième partie de Smart où nous avons le plaisir d'être présents. Accompagnés au téléphone par Kevin Le Nouail, directeur des investissements chez Avant-Garde Family Office. Bonjour Kevin.
Kevin Le Nouail : Bonjour Nicolas.
Nicolas Pagniez : Bienvenue donc à distance sur le plateau de Smart Bourse. Merci de nous accompagner. On évoque depuis le début de cette émission, une fois encore évidemment, cet épisode. Donc SVB, Silicon Valley Bank aux Etats-Unis, qui pose un certain nombre de questions, que ce soit en matière de contagion au secteur bancaire, voire même à l'Europe, que ce soit en matière de politique monétaire, des banques centrales ou même en matière de régulation aux Etats-Unis. C'est peut-être un peu tôt pour en parler, mais c'est une question que l'on peut ouvrir également. Comment l'analysez-vous ? Comment avez-vous vécu cette séquence de marché ?
Kevin Le Nouail : Alors, comment l'avons-nous vécu, vous vous en doutez, avec beaucoup de réflexion, et beaucoup de communication avec nos clients, cela est évident. Concernant notre analyse de la situation, celle-ci est, à un moment donné, très particulière. Ce n'est jamais anodin, nous ne cessons de le répéter, d'évoquer une faillite ou plusieurs. D'autant plus quand il s'agit d'une banque, et surtout aux Etats-Unis. Donc, quand vous ajoutez à cela,évidemment, de la gestion, dans notre cas, gestion de fortune, gestion privée, cela ravive évidemment des souvenirs relativement désagréables.
Nicolas Pagniez : D'autant plus quand il s'agit d'une banque. Kevin Le Nouail qui finance la tech américaine, les start-up américaines qui, pendant très longtemps, j'imagine, ont représenté dans l'imaginaire de certains clients fortunés ou autres, en recherche d'investissement, un domaine attractif. La tech américaine donnait, j'ai envie de dire, l'image de l'endroit où il fallait investir une partie de son épargne. Comment explique-t-on à des clients que la banque finançant ces startups se trouve en difficulté ?
Kevin Le Nouail : C'est vrai que sur l'assertion, nous quittons aujourd'hui un environnement où les liquidités et les politiques monétaires favorisaient des valorisations à la hausse, notamment dans ce segment. Concernant notre point de vue, cela a été dit à de nombreuses reprises, c'est que c'est un segment sur lequel nous avons retiré tout positionnement depuis maintenant presque deux ans, en raison notamment d'excès de valorisation. Donc, évidemment, je vous rejoins sur le fait que cela a pu nous coûter à un moment donné, car clairement, nous avions parfois l'impression de laisser passer une opportunité. Aujourd'hui, cela ne nous concerne pas directement. Cependant, il n'y a pas de quoi se réjouir outre mesure, car les répercussions actuelles ne se limitent pas seulement à un segment tech, mais deviennent beaucoup plus larges, ne serait-ce qu'en termes de stress sur le marché.
Nicolas Pagniez : Justement. Kevin Le Nouail, comment intègre-t-on cette volatilité, ce stress qu'on retrouve sur les marchés financiers aux Etats-Unis mais aussi en Europe, en partie par effet de contagion ? Est-ce que cela change votre approche des investissements en ce début d'année ?
Kevin Le Nouail : Oui, cela change notre manière d'aborder les investissements, a minima. Je dirais, cela influence nos réflexions. C'est ce qui a été dit il y a quelques minutes. Nous travaillons toujours sur la base d’hypothèses. Il est clair que le week-end a quelque peu modifié ces hypothèses. Elles changent évidemment en termes de perspectives sur certains segments, comme vous venez de l'évoquer, et également en termes de politique monétaire. Compte tenu de notre concentration précédente sur ces politiques monétaires, les problèmes d'inflation et de soft landing, il est évident que les dernières heures ne favorisent pas une attitude passive. Le point crucial ici, c'est d'observer attentivement ce qui se passe du côté des institutions monétaires. Nous pensons qu'elles ont un rôle très important à jouer dans les prochaines heures, soit en termes de réassurance auprès des investisseurs, mais également auprès des épargnants qui, en fait, vont sûrement jouer un rôle très important dans l'impact qu'ils auront sur la solidité ou la confiance qu'ils accordent au système.
Nicolas Pagniez : Oui, allez-y, je vous en prie.
Kevin Le Nouail : En termes d'investissement, puisque je suppose que c'était le sujet de votre question, j'aimerais revenir un peu en arrière sur notre situation. Nous avons été plutôt prudents sur l'ensemble de nos portefeuilles ces derniers mois, avec une exposition importante aux actions. Cela nous a coûté, vous vous en doutez. C'est pourquoi je dis qu'il n'y a pas de quoi se réjouir. Cela nous a coûté, en particulier au mois de janvier, lors d'un rallye que nous jugions certes excessif, mais qui s'est malgré tout matérialisé avec peu d'exposition pour nous. Le fait est que ces dernières heures, il est assez évident que nous n'avons aucune raison de redevenir acheteurs sur ce marché, ou en tout cas de nous repositionner, même minimalement, sur la sensibilité aux actions, puisque de fait, globalement, nous étions devenus plus prudents en 2022. Il est clair qu'aujourd'hui nous voyons peu de raisons de ne pas rester prudents étant donné que le risque se matérialise.
Cela signifie-t-il pour autant qu'il faille changer radicalement nos investissements ? Ce n'est pas le cas, car encore une fois, en termes d'approche des investissements, il s'agit d'investissements à long terme. Donc, bien que nous puissions réduire la sensibilité aux actions de manière tactique, les investissements que nous détenons ont été un véritable test de stress et continueront de l'être pour ce que nous avons en portefeuille. Il s'agit donc de surveiller attentivement où se situent nos investissements au jour le jour. Mais l'idée est que nous avons des valeurs fondamentales en portefeuille auxquelles nous tenons.
Nicolas Pagniez : Quelle est votre approche sur le marché obligataire ? J'aimerais vous demander, Kevin Le Nouail, notamment au vu des rendements récents sur les obligations à deux et dix ans aux États-Unis. Quelle est votre approche plus globale sur le marché obligataire ?
Kevin Le Nouail : C'est clairement un domaine où nous continuons de renforcer nos achats. Nous sommes devenus acheteurs de titres à court terme en début d'année. C'est une stratégie que nous maintenons. Ainsi, nous évitons quelque peu le bruit, disons, le bruit tactique sur les obligations souveraines. Ce qui nous a intéressés depuis le début de l'année, et ce que nous continuons de faire, c'est plutôt de rechercher de la qualité, donc typiquement de la qualité Corporate Investment Grade à faible duration. Est-ce que cela reste valable aujourd'hui en termes de tactique ? Nous pensons que oui. D'autant plus qu'un environnement comme celui-ci, un stress de cette nature, a justement pour vocation de réintroduire quelque chose que nous n'avions pas vu sur le marché depuis quelques années, voire quelques trimestres, à savoir une réelle diversification des actifs entre eux et donc, globalement, une capacité à être maintenant positifs sur les obligations tout en étant un peu plus négatifs sur les actions. Nous retrouvons donc une orientation que nous n'avions plus depuis quelques années, ce qui est bienvenu.
Nicolas Pagniez : Alors justement, si je reviens sur le stress de marché Kévin Le Nouail, il y a quand même aussi un sujet de psychologie des investisseurs qu’on ne peut pas anticiper, qu'on ne peut pas maîtriser de fait. Donc effectivement, j'entends bien que la volatilité sur les marchés peut créer des opportunités, mais d'un autre côté, on navigue dans un environnement encore plus incertain aujourd'hui, à l'heure où on se parle.
Kevin Le Nouail : En tout cas, un environnement dans lequel les hypothèses sont d'autant plus pertinentes et viennent encore de changer. Je vais le dire comme ça.
Nicolas Pagniez : C'est-à-dire qu'encore une fois, est-il plus incertain ?
Kevin Le Nouail : Oui,sûrement pour les prochaines heures. Parce qu’évidemment, quand on est sur un stress comme cela, on a tendance à avoir ensuite un pic d'informations qui nous arrive. Donc l'incertain va durer. Est-ce que c'est un incertain à long terme ou en tout cas à moyen terme ? La réponse est non de ce point de vue là. Mais de fait, évidemment, ça, on doit écouter ce que nous dit, ce que nous disent les marchés. À l'heure actuelle, il y a des réactions qui sont des réactions,selon nous, assez épidermiques. Ça a été abordé tout à l'heure, mais on jugeait le reste, le risque typiquement systémique entre les banques régionales et les banques européennes est aujourd'hui quasiment inexistant. Mais très clairement, si on a aujourd'hui devant les yeux des valeurs bancaires européennes qui sont sur le recul de plus de 10 %, c'est qu'on a un stress qui est important et qu'il faut écouter dans le marché.
Nicolas Pagniez : Oui, donc finalement, c'est peut-être que ça ne se justifie pas économiquement en tout cas, ou en matière de régulation, mais globalement,il y a un stress qu'il faut écouter dans le marché. C'est ce que vous nous dites.
Kevin Le Nouail : Il faut tout à fait l'écouter. C'est la partie tactique que j'évoquais tout à l'heure. C'est-à-dire qu'évidemment, quand on évoque le fait d'être sous-exposé aux actions, c'est justement vis-à-vis de ce stress-là. C'est vraiment quelque chose évidemment à intégrer. Typiquement, ce que l'on a communiqué dès lundi à nos clients, c'était ça. C'est-à-dire la non-volonté absolue de se positionner sur l'environnement bancaire européen. Quand bien même on juge qu'il n'y a pas de, j'allais dire de risque systémique, il n'empêche que l'on n’a absolument pas envie, en tout cas nous concernant, de poser un pied justement sur ce terrain, ou en tout cas de rentrer dans la mêlée à ce moment-là.
Nicolas Pagniez : Je reviens sur les banques centrales. Kévin Le Nouail, alors effectivement, on lit plusieurs scénarios à l'heure actuelle, ceux qui estiment que la Fed n'augmentera pas de 50 points de base mais de 25 points de base. Ces taux lors de la prochaine réunion de politique monétaire. Ceux qui pensent qu'on sera face à un statu quo dans le contexte actuel, face à un risque potentiellement systémique. Après, effectivement, on peut lire plusieurs choses sur le sujet. On entend même certaines personnes penser que la Fed pourrait avoir à baisser ses taux. Quelle est votre opinion ? Quel est le scénario d'Avant-Garde Family Office ?
Kevin Le Nouail : Alors, en ce qui concerne le scénario, on se garderait bien de mettre, entre guillemets, des paris sur ce sujet. Si on devait aujourd'hui avoir un scénario un peu plus affirmé, ce serait quand même de dire en effet que la Fed, à mon avis, va lever le pied. Globalement, l'avantage aujourd’hui qu’a la Fed, c'est qu'elle s'est beaucoup moins engagée sur sa guidance que ne l’a fait la BCE. À notre avis c'est un bon point pour elle et donc elle peut se permettre aujourd'hui, vu le rythme des taux qu'elle a imposés par le passé et surtout vu le niveau aujourd'hui des taux qu'elle affiche, de lever légèrement le pied et donc de revenir typiquement ne serait-ce qu'à une hausse de 0,25 au prochain meeting. La différence et la difficulté, elle se situe à notre avis plutôt du côté de la BCE, d'autant plus vu la situation actuelle. Parce qu'encore une fois, de fait, la BCE avait plutôt justement réinstallé une forte forward guidance auprès des investisseurs. Et donc il va y avoir un vrai risque, mais qui pèsera, qui pèsera évidemment sur la Fed, c'est de perdre en crédibilité de ce point de vue là. Ce qui est sûr en termes de lecture, c'est qu'il nous semble,il nous semblerait être une erreur assez importante de baisser les taux aujourd’hui ou de ne même plus les augmenter. La réalité étant que certes, on a un épisode de stress qui est assez important, mais globalement, cela pourrait envoyer de très mauvais signaux. Le premier serait justement d'accréditer la thèse d'un danger ou d'un danger trop important. Et ça, ça serait potentiellement rajouter de l'huile sur le feu. Et puis le second sujet, c'est un sujet qui est beaucoup plus prégnant, c'est celui de l'inflation et celui-ci n'a absolument pas diminué depuis lundi en l'occurrence. Et donc ce serait une erreur selon nous, que d'aller justement que de retourner vers une sorte d’accommodation des banquiers centraux.
Nicolas Pagniez : Merci beaucoup Kevin Le Nouail de nous avoir accompagné à la mi-journée dans Smart Bourse. Je rappelle que vous êtes directeur des investissements chez Avant-Garde Family Office. Merci à vous également de nous avoir suivis et on se retrouve tout à l'heure pour la grande édition de SmartBourse.